“Nous ne savons pas ce que c’est que l’hospitalité” – car elle n’est pas un objet mais une expérience énigmatique, un appel à l’autre, au-delà du savoir et de la conscience

Hospitalité, volume 1, p27, 38-9

Le mot hospitalité peut avoir un sens, dans la langue courante ou dans le droit, par exemple dans le droit européen ou dans la tradition cosmopolite (Kant). Il met en œuvre une histoire, des questions et des délimitations connues. Mais en outre, en plus, il ouvre à d’autres pratiques, d’autres hospitalités qui ne sont pas encore déterminées, des pratiques qui prendront peut-être corps dans le langage humain, mais aussi en-dehors de ce langage (à l’égard du végétal, de l’animal, du divin). Nous ignorons ces autres significations, mais dès lors que nous appelons l’hospitalité, nous les laissons venir. L’hospitalité s’appelle d’elle-même et nous y acquiesçons avant même de savoir ce qu’elle est. Le mot fait penser, il me donne à penser, il m’invite à penser l’ouverture. Alors que je ne le pense pas encore, je dis déjà bienvenue (bienvenue au mot, bienvenue à l’autre). Je réponds présent, me voici.

Dire que “nous ne savons pas ce que c’est”, c’est une déclaration liminaire, une adresse aux auditeurs. Lorsque nous parlons d’hospitalité, nous utilisons un lexique, des mots dont le sens nous est familier : inviter, accueillir, recevoir, etc. Nous souhaitons la bienvenue à l’autre ou à l’étranger dans notre langue, et nous croyons savoir ce que cela veut dire. Mais l’hospitalité n’est ni un objet, ni un étant présent : c’est un impératif, un engagement dont on ne peut pas savoir à quoi il aboutira. Ce n’est ni une chose, ni un objet, mais une expérience énigmatique, un appel à l’acte, à l’intention, un geste qui se porte vers l’autre, l’étranger absolu, l’inconnu. On ne peut pas échapper à la dimension contradictoire, paradoxale, de cet appel à l’autre. Qu’on la considère comme une invitation, un droit, un devoir, une obligation – voire une loi, elle n’est pas un être, mais un devoir-être. Si elle se donne à penser, c’est au-delà du savoir. J’ignore ce qui se pense par ce mot, mais je sais déjà que ce qui s’appelle ne sait pas encore ce qu’il appelle, je sais déjà que le mot salue le pas de ce qui passe le seuil, de ce qui arrive.

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